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Yv

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Je lis, je lis, je lis, depuis longtemps. De tout, mais essentiellement des romans. Pas très original, mais peu de lectures "médiatiques". Mon vrai plaisir est de découvrir des auteurs et/ou des éditeurs peu connus et qui valent le coup.

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20 mars 2015

David Smith est un sculpteur qui a sans doute laissé passé sa chance de devenir célèbre pour son art. Faute d'argent, il ne produit plus, il boit, vit seul. Un jour, attablé dans un restaurant, il rencontre le diable qui lui propose un marché : il pourra sculpter tout ce qu'il souhaite à mains nues, sur tout support mais seulement pendant 200 jours, après il mourra. David accepte car il ne sait pas encore que peu de temps après ce pacte il rencontrera son grand amour.

Connaissant votre sagacité, je ne doute pas que vous ayez reconnu ici le mythe de Faust, ce savant qui a vendu son âme au diable pour profiter de tous les plaisirs et accéder à des savoirs alors inconnus. Scott McCloud s'empare de ce mythe pour son roman graphique absolument formidable.

J'ai été emballé par l'histoire bien sûr, qui même lorsqu'on connaît la fin reste passionnante, d'une part parce qu'une once d'espoir réside : et si le pacte avait un vice de forme ? Et si cet homme qui a retrouvé le goût de vivre émouvait le diable au point de résilier le contrat ? Évidemment, je ne vous dirai rien, il vous faudra aller au bout des presque 500 pages pour savourer le déroulement de l'histoire et son dénouement.

Les dessins sont figuratifs, réalistes, sauf lorsque David réalise des œuvres avec son nouveau pouvoir : elles sont directement issues de son imagination, de ses souvenirs et sont entre réalité et abstraction. Trois couleurs seulement, le noir, le blanc et le bleu. En fonction de la situation telle ou telle domine. Scott McCloud joue aussi avec le nombre de cases par pages : une seule ou deux lorsqu'il a le besoin de ralentir le rythme, presqu'une trentaine et même plus, superposées lorsque le récit accélère. Exactement comme dans un roman : phrases longues pour ralentir, phrases courtes pour accélérer. Des cases saturées de phylactères lorsque David est saoulé des discours environnants, d'autres cases muettes. J'ai lu que l'auteur était un "théoricien de la bande dessinée et de la communication visuelle", c'est dire s'il en connaît les codes ; il les applique donc à son ouvrage magistralement.

A certains moments, lorsque David Smith sculpte dans l'euphorie, j'ai eu des images de Akira, le seul manga que j'aie lu, de Katsuhiro Otomo, récemment récompensé à Angoulème. Les univers sont différents, mais cette folie qui s'empare des héros est assez semblable.

L'éditeur Rue de Sèvres a fait une entrée remarquée dans le monde de la BD il y a deux ans, avec notamment Une histoire d'hommes de Zep, la très belle adaptation de Maupassant, Le Horla de Guillaume Sorel ou Le château des étoiles d'Alex Alice, pour ceux que j'ai lus. Depuis le catalogue s'est étoffé et ce roman graphique ajoute une très belle note à l'ensemble.

Pour les ceusses qui comprennent l'américain, Scott McCloud a un site (cliquez sur son nom, vous y êtes)

Anne-Marie Métailié

18,00
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20 mars 2015

Ce qui surprend dans cet ouvrage c'est la forme qu'il prend. Trois parties. Trois monologues. Enfin, plutôt des dialogues dont nous lecteurs n'entendrions qu'un participant. Le premier est de l'étudiant de chinois. Le deuxième d'une commissaire qui a subi divers affronts et règle ses comptes avec son collègue, celui qui interroge l'étudiant de chinois. Le troisième, c'est à nouveau l'étudiant qui parle. Le style est très haché. Phrases très courtes, beaucoup de questionnements sans forcément les réponses puisqu'on n'entend pas les propos de l'autre interlocuteur. On les devine par les réflexions suivantes des narrateurs. Pour les amateurs, il y a du Céline là-dedans : variations des niveaux de langage, langage très oral, propos tendancieux, racistes, homophobes, phallocrates, tout y passe. Dans toute cette logorrhée -parfois fatigante avant de se faire au rythme qu'elle impose-, l'auteur apporte des réflexions intelligentes, des questionnements universels ; il se permet par exemple de parler de la France et de sa lente (?) dérive vers l'extrême droite : "Mais, si dans le pays des Droits de l'homme on élit comme président le candidat d'extrême droite ? Hein ? Vous avez déjà réfléchi à ça ? (...) Mais j'attends de voir ce qui se passera quand le pays des Droits de l'homme deviendra fasciste ! Et par-dessus le marché en ayant la bombe. Je vous garantis qu'il deviendra alors beaucoup plus chic d'étudier le chinois que le français." (p.43/44)

On peut être noyé dans le flot ininterrompu des intervenants et ce, d'autant plus que la mise en page est dense, sans espace pour respirer, collant ainsi à ce dialogue de fou, rapide, désordonné, sans reprise de souffle. Un livre qu'il n'est pas facile de quitter, à moins de noter précisément la ligne à laquelle on s'est arrêté. Néanmoins, moi qui aime les textes aérés, j'avoue que cette densité sert celui-ci, rajoute de la confusion, de la colère ou de la paranoïa et de la rapidité dans les propos des personnages. C'est décousu, ça part dans tous les sens, mais on comprend tout, même lorsque Bernardo Carvalho balance une information par surprise et que ce ne sont que les phrases suivantes voire les pages suivantes qui l'expliquent.

Il parle de tout : de la France qui lorgne vers l'extrême droite, de la Chine qui domine le monde, de la disparition des langues et de fait de l'appauvrissement du monde : "Il est écrit ici que la diversité est un réservoir d'adaptabilité. Plus il y a de différences, plus nous avons de chances de nous adapter à l'inattendu. Avec davantage de langues, nous avons davantage de possibilité de résister." (p138), du racisme, des noirs, des juifs, des homosexuels, des sectes, de la religion, du trafic de drogue.

Bref, un roman fourre-tout qui paraît fouillis et qui est diablement maîtrisé. Un roman célinien, qui tout en faisant dire aux personnages des énormités plaide en faveur de la différence, de la rencontre d'autrui. Et un auteur brésilien sait de quoi il parle tant les habitants de ce pays sont d'origines diverses.

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20 mars 2015

Me voilà donc avec en mains un polar médical, écrit par un chirurgien, Philippe Kleinmann et une avocate et chroniqueuse judiciaire à Charlie Hebdo, Sigolène Vinson. Chaque en-tête de chapitre est une phrase ou un schéma ayant rapport à la médecine. Bon, parfois, ça fait plus peur que le polar lui-même : hypocondriaques s'abstenir. Quelques descriptions d'opérations sont un peu gore pour qui, comme moi supporte mal juste l'entrée dans un lieu de soin, mais rien d'insurmontable, plus on avance dans le livre, moins il y en a ou alors je me suis habitué... Quelques termes techniques courent le long des pages, que je ne saisis pas toujours mais qui ne sont pas gênants pour la bonne compréhension du propos, on sait qu'il s'agit d'opérations chirurgicales, et ça suffit, finalement, les détails on s'en passe volontiers.

Pour le reste, eh bien, je me suis régalé. D'abord l'intrigue bien menée de bout en bout : un trafic d'organes malades en lien avec le terrorisme ? Ou bien une espèce de chirurgien qui a totalement pété les plombs et qui met en place un étrange circuit entre Karachi, Djibouti et la France ? Cush Dibbeth resserre peu à peu les fils de son enquête pour se retrouver avec son unique suspect, mais malgré cela, une surprise finale n'est pas exclue.

Ensuite, les personnages Cush Dibbeth en tête et Benjamin Chopski pas loin derrière. C'est un véritable hymne à la différence et à la diversité. Cush Giuseppe Robert Dibbeth de son nom entier parce que ses origines paternelles sont en Ethiopie et en Italie et maternelles en France. On y croise aussi un Zhou Pong, un Vassili, une Sophie Labounstova, un Dupont, un Durant, ... Très attachant ce Cush Dibbeth avec sa passion pour l'origami : un fonctionnaire qui fait des cocottes en papier et toutes sortes d'autres formes pour réfléchir. Benjamin est un chirurgien atypique avec ses cinq trous à chaque oreille chacun portant un anneau, sa coupe de cheveux qui épouse la forme du casque audio qu'il porte quasi en permanence pour écouter jazz et classique. Le lieutenant Dubreuil, second de Cush, sorte de fayot très drôle et surtout très efficace apporte une autre couleur au trio.

Très bien écrit, très simple malgré quelques explications techniques, c'est un polar enlevé, rapide et très agréable à lire. Le ton est à la détente et à l'humour même s'il n'oublie pas d'être sérieux sur l'intrigue et ses implications. Une découverte qui m'amènera forcément à lire la suite qui vient de paraître, intitulée Substance, toujours au Masque.

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20 mars 2015

J'ai pas mal parlé des derniers livres des deux auteurs : ici, ici, là, là et là. Voici leur premier roman commun. On y retrouve les ingrédients qui ont fait les succès de leurs livres précédents : bonne humeur, joie de vivre, bons sentiments, personnages aux fortes personnalités, amitié, amour, entraide, rencontres inter-générationnelles, ... et quelques péripéties pour pimenter un tantinet le voyage de ces quatre femmes à travers l'Europe. C'est toujours charmant, un bouquin que l'on a plaisir à reprendre parce qu'on sait qu'il est positif.

Mais je dois dire que j'y ai trouvé aussi pas mal de longueurs, de redondances, comme si le scénario était très léger et ne pouvait tenir sur 300 pages (aérées et gros caractères). Les personnages sont sympathiques certes, lisses mais sympathiques. Leurs révélations sur elles-mêmes ne sont pas d'énormes surprises, elles sont des femmes simples aux vies simples, comme souvent dans les romans des auteurs ; c'est d'ailleurs ce que l'on aime y retrouver.

Ces réserves dites, force m'est de constater que le roman se lit très bien, qu'on peut le prêter ou l'offrir sans aucun risque de décevoir. A rapprocher du livre de Didier Fourmy dont je parlais ici-même l'an dernier quasiment au jour près, Les pétillantes. Je concluais mon article par ces mots que je reprends ici : "Une véritable bouffée de joie et de sourires que tous ces livres, ceux de F. Dannemark et celui de D. Fourmy", je ne change rien, j'y ajouterai juste le nom de V. Biefnot.

16,50
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20 mars 2015

Quatre nouvelles écrites en 1940 et 1941. Quatre histoires de femmes et d'hommes, entre Nice et Paris, à l'époque où la ligne de démarcation existait. Curieusement, le contexte de la guerre qui s'annonce ou qui débute est peu présent, au second plan, latent. Les éditions Denoël rééditent ces histoires d'Elsa Triolet dans la collection Empreinte, une belle idée qui permet de remettre en rayonnages cette écrivaine sans doute un peu oubliée, morte depuis 45 ans et qui dans l'esprit de beaucoup, est avant tout la femme de Louis Aragon.

Trois nouvelles assez égales en nombres de pages : Mille regrets, Le destin personnel et La belle épicière qui parlent de femmes. L'autre nouvelle, la plus longue, presqu'un roman de 120 pages, est consacrée à un homme Henri Castellat ; titre de l'histoire éponyme.

- Mille regrets : Une femme plus toute jeune mais pas encore vieille, veuve, apprend que son amant, Tony est mort. Elle vivote dans un meublé minable de Nice jusqu'au jour où elle rencontre un vieil homme étrangement riche, Oléonard, qui lui propose de l'argent en échange de son manteau de vison.

- Le destin personnel : en 1940/41, Charlotte se voit contrainte d'héberger sa mère, ses beau-frère, belle-sœur et neveu pendant que son mari Georges est prisonnier. La cohabitation est plus que délicate entre les reproches de la mère, les jérémiades de la belle-sœur, les pitreries du neveu. Pour souffler, Charlotte accepte de passer l'été en zone libre chez des amis, Jean-Claude et Margot, en pleine campagne. Margot déprime. Jean-Claude se débrouille pour améliorer l'ordinaire de guerre.

- La belle épicière : Louise est l'épicière d'une petite rue parisienne. Mariée à Simon qui gagne sa vie en faisant l'homme serpent et maman de Michel, un garnement d'une dizaine d'années. Sa vie s'écoule paisible au comptoir de sa petite épicerie, sa gentillesse et son charme faisant la joie des clients et voisins. Louise qui entend dire à longueur de journée qu'elle est bien belle et attirante est sage et fidèle. Oui, mais Simon part pour trois mois, et Raymond, le nouveau serveur du café d'en face fait une cour assidue à la belle épicière.

- Henri Castellat : Henri est écrivain. Deux de ses romans ont eu un accueil très favorable quinze ans auparavant faisant de lui, le romancier du moment. Mais Henri n'écrit plus depuis. C'est un homme égoïste qui ne se soucie que de lui, aime briller dans les salons. Dans l'un d'eux il rencontre Annabelle Soriento, femme d'un peintre. Ils tombent amoureux et vivent des moments délicieux. La mère d'Henri voudrait qu'il épouse Jeanne, une jeune propriétaire terrienne de sa région natale, qu'il a mise enceinte deux ans auparavant. Henri répugne à régulariser la situation, Jeanne n'étant pas aussi séduisante qu'Annabelle ni sa région natale aussi attirante que Paris. C'est alors que les menaces de guerre se font de plus en plus fortes.

Je ne connaissais pas les écrits d'Elsa Triolet, et voici donc une belle découverte que ces portraits de femmes qui pour vouloir frôler la frivolité vont payer cash. Alors que Henri Castellat, homme dont l'intérêt unique est sa petite personne, s'en sortira par relations. Couard, veule, c'est un type assez minable qui se sert d'autrui pour lui et encore lui. Il y a 70 ans, on était encore très loin de l'égalité hommes-femmes (encore aujourd'hui me direz-vous), et Elsa Triolet le montre admirablement. Elle ajoute aussi une question de classe sociale, car H. Castellat est un homme du monde alors que les trois femmes dont elle parle sont d'un milieu populaire.

Étrangement, bien qu'écrites en 1940 et 1941, ces nouvelles ne font pas état de la guerre, elle n'est qu'un contexte lointain, même si elle peut être déclencheur de certains comportements. Mais sans doute est-il plus aisé d'écrire sur la guerre une fois qu'on en est sorti, avec un peu de recul.

La langue d'Elsa Triolet n'est point trop datée, elle se lit très bien. Une écriture simple, directe, de belles descriptions de paysages, de personnages : une écriture très visuelle et même odorante lorsqu'elle décrit certains lieux.

Une belle manière d'aborder l'œuvre de cette écrivaine que ces nouvelles rééditées.