Les musiques du Massif central, héritage et création

extrait de l'avant propos
Chacun veut être de quelque part, s’inscrire dans une mémoire collective, une aventure intime et partagée. Et chacun veut être du monde. Central et décentré.
S’il est vrai comme l’écrivait Jorge Luis Palacio, que seuls les arbres ont des racines, et que les hommes sont nés avec des pieds pour passer les montagnes, alors le Massif Central est cette terre de voyageurs cultivés. Les gens d’Auvergne et de Limousin, les hommes et femmes du Morvan et du Languedoc, les Cévenols ont franchi les limites imposées par la géographie, un chant aux lèvres, une musette dans leur sac, des airs de bourrées plein la tête. Ce livre parle de ceci. Les musiques du Massif Central présentées ici sont celles d’un peuple montagnard dont les pas sont allés au-delà de l’horizon, qui a diffusé partout sa musique rugueuse et puissante, et a su intégrer les modernités successives de son temps.
L’époque est au vertige identitaire. Pourtant on ne trouvera pas ici la quête forcenée d’une intégrité culturelle, mais au contraire une suite de points de vue sur le désir de culture ajoutée, des paroles de chercheurs et de musiciens sur l’amour d’un pays, d’un paysage, d’une langue, d’une danse ou d’un instrument de musique populaire. Une identité ouverte.
La volonté du comité de pilotage de l’ouvrage, du directeur éditorial, des auteurs ou contributeurs, fut de proposer des analyses et des témoignages donnant à comprendre les raisons qui animèrent durant plus de quarante ans les collecteurs des années 70. Pourquoi privilégier cette période particulière, s’interrogera-t-on ? Parce que les années 1970-1990 furent un moment charnière entre les générations des anciens musiciens jouant de routine, détenteurs des savoirs de leurs prédécesseurs, et la génération des jeunes collecteurs issus de la ville, de l’université, du mouvement folk ou occitan. Les pages de ce livre abordent cette période essentielle, mais s’efforcent aussi d’en proposer les ancrages historiques, dans les siècles précédents, et d’en observer les continuités contemporaines, par des témoignages et des points de vue diversifiés. Nous tenterons de nous rapprocher de ce qui fut plus une quête qu’une recherche scientifique.
L’histoire s’écrivant avant tout dans le déroulé du temps, la tentation fut grande de suivre cet archétype et de tenter de faire entrer ces expériences atypiques dans un cadre et un schéma qui ne leur étaient pas appropriés. Les travaux entrepris et réalisés par ces collecteurs–musiciens éclairent aujourd’hui les implications artistiques de chacun d’entre eux, car elles ont pour beaucoup orienté leurs démarches, leurs approches, leurs centres d’intérêt, la qualité des relations engagées avec les informateurs. La constitution des outils d’analyses qu’ils purent ainsi forger au fil des enquêtes sont indissociables des productions scéniques ou phonographiques créées à partir de la confrontation avec les sources. [...]